Le droit à la santé est un droit fondamental. Au-delà du droit à la santé physique, il regroupe le droit à la santé mentale. Contrairement à ce dernier, les éducateurs et décideurs mettent en œuvre des stratégies pour la réalisation du droit à la santé physique. En considérant les derniers évènements en date impliquant le bien-être psychologique des enfants, il est nécessaire de se questionner sur l’état des lieux du respect du droit à la santé mentale de l’enfant au Bénin.
Pour cela, j’ai recueilli l’avis de quelques spécialistes sur la situation du droit à la santé mentale de l’enfant dans le cadre familial, dans le cadre scolaire et sur internet. Découvrez-les ainsi que les textes encadrant le droit à la santé mentale de l’enfant dans les lignes qui suivent.
Que disent les textes à propos du droit à la santé mentale de l’enfant ?
La santé mentale de l’enfant se définit comme un état de bien-être mental. Il traduit un équilibre dans les différents mécanismes comportementaux, sociaux et cognitifs chez l’enfant. Étant un être en pleine croissance, l’appréhension de la santé mentale de l’enfant diffère de celle des adultes. Le droit à la santé mentale est donc le droit reconnu à l’enfant de jouir d’un bien-être mental. Au niveau international, régional et national, plusieurs textes encadrent ce droit.
Les textes internationaux et régionaux à propos du droit à la santé mentale de l’enfant
La Convention internationale des Droits de l’Enfant en son article 24 alinéa 1 énonce « Les États partis reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible (…) » Bien souvent, l’expression ‘’meilleur état de santé possible’’ semble concerner uniquement la santé physique. Pour preuve, même les rédacteurs de la Convention, dans la suite du même article, n’ont fait allusion qu’à l’état de bien-être physique. Ils proposent des actions aux états pour faciliter l’accès de la mère et de l’enfant aux soins.
La Charte Africaine des Droits et du Bien Être de l’Enfant évoque le droit de l’enfant à la santé mentale en utilisant presque les mêmes termes que la Convention. Ainsi, à l’alinéa 1 de l’article 14 de la Charte, le législateur communautaire énonce « Tout enfant a le droit de jouir du meilleur état de santé physique, mental et spirituel possible. » Ici encore, un accent particulier a été mis sur l’accès aux soins de santé favorisant un bien-être physique. Qu’en est-il des textes béninois ?
Les textes nationaux à propos du droit à la santé mentale
Le législateur béninois se prononce à travers le Code de l’Enfant et à travers la loi sur l’orientation de l’éducation nationale. Ainsi, le Code de l’Enfant en son article 18-a, énonce que l’enfant a droit « au respect de l’intégrité physique et moral. » Par suite, il relève à l’article 20, l’universalité, du droit à la santé sans distinction fondée sur l’âge, le sexe, la fortune, la religion et l’appartenance à un groupe ethnique. Il précise également l’application du principe d’égalité dans le respect de ce droit.
Bien avant l’adoption du Code de l’Enfant, le législateur quelques années en arrière a légiféré sur la santé mentale dans le cadre scolaire. Il insiste à travers les dispositions de l’article 6 de la loi portant orientation de l’éducation nationale, sur la responsabilité de l’école en ce qui concerne la formation de ‘’citoyens équilibrés’’. Il précise également dans l’article 18 que, chaque établissement scolaire doit disposer du personnel compétent pour garantir le bien-être des apprenants.
Il faut donc remarquer que les textes nationaux n’ont pas explicitement abordé la question du bien-être psychologique de l’enfant. Un rapport de l’OMS a d’ailleurs soulevé l’inexistence de textes de loi sur la santé mentale en général au Bénin.
Dans les sociétés africaines et béninoises, la santé mentale de l’enfant reste un tabou. Ce dernier se justifie entre autres par le lien faussement établi entre le respect des droits de l’enfant et les déviances d’un enfant-roi. C’est ce qui justifie l’état des lieux du droit à la santé mentale de l’enfant.
Quel est l’état des lieux du droit à la santé mentale de l’enfant ?
Que ce soit dans le cadre familial, dans le cadre scolaire, ou encore sur internet, les enfants béninois subissent plusieurs violations de leur droit à la santé mentale.
Le droit à la santé mentale de l’enfant dans le cadre familial
Le cadre familial est le premier où le droit à la santé mentale de l’enfant est parfois violé. Selon la psychologue clinicienne Armelle Abadagan, beaucoup d’enfants subissent des violences de tout genre au sein des familles au Bénin. Il peut s’agir de violences psychologiques ou de violences physiques qui, par suite, impactent négativement la santé mentale de l’enfant.
« Les enfants qui vivent avec des parents alcooliques ou violents, les enfants victimes d’abus sexuels de la part d’un membre de la famille sont des enfants dont la santé mentale est violée. Ceux exposés aux violences conjugales le sont également. » Explique-t-elle. Les injures et autres formes de maltraitance psychologiques constituent également des formes de violation de la santé mentale de l’enfant.
Plus loin, elle expose les signes d’une santé mentale défaillante chez les enfants. « J’ai reçu de jeunes adolescents boulimiques (trouble alimentaire compulsif) et déprimés », affirme-t-elle. Ces symptômes influencent parfois négativement le rendement scolaire de l’enfant. Généralement, c’est dans ces cas extrêmes que les parents se rendent compte du mal de leur enfant.
‘’Beaucoup de parents ne sont pas à l’écoute de leurs enfants et c’est bien dommage. Ils démissionnent de plus en plus et les enfants sont livrés à eux-mêmes, exposés à toute menace.’’ Armelle Abadagan, Psychologue clinicienne
Le droit à la santé mentale de l’enfant dans le cadre scolaire
Dans le cadre scolaire également, le droit à la santé mentale de l’enfant apprenant est parfois violé. Roméo Dossou-Koko, Professeur certifié des SVT nous apprend que la santé mentale de l’enfant n’est pas toujours respectée dans le cadre scolaire au Bénin. Selon lui, le bien-être psychologique de l’enfant est passé au second plan pour plusieurs raisons. Elles peuvent être liées au système éducatif ou à la formation de l’enseignant.
« La santé mentale de l’apprenant (mineur) doit être une priorité pour l’enseignant ayant suivi une formation professionnelle dans une école normale. » Clarifie-t-il. Très, souvent la source profonde du mal-être psychologique de l’enfant est une situation familiale. Pour cela, l’enseignant peut s’intéresser à la vie de l’apprenant. Surtout, les moqueries ou harcèlements des autres apprenants, enseignants ou responsables d’établissement constituent des menaces à la santé mentale de l’enfant.
Plusieurs éléments peuvent permettre à l’enseignant de se rendre compte du mal-être des enfants apprenants. « Le premier signe est l’inattention ou la distraction de l’apprenant pendant le déroulement du cours. » Avance-t-il. L’enfant peut paraitre concentré, mais ne l’est pas en réalité. Dans d’autres cas, il est agité et n’arrive pas à suivre le cours.
Ce qui indique l’état des lieux très peu satisfaisant du droit à la santé mentale de l’enfant est la réaction de l’enseignant dans les cas susmentionnés. Il est facile de voir des enseignants réprimer très sévèrement les apprenants inattentifs et distraits. La pédagogie aurait plutôt recommandé à l’enseignant une approche beaucoup plus pacifique.
Ayant rencontré plusieurs situations d’inattention et de distraction des apprenants, Roméo Dossou-Koko narre un cas. « Il y a une de mes apprenantes qui est très souvent éveillée au cours. Mais lors d’une séance, elle était silencieuse et avait la tête baissée. M’étant rapprochée d’elle, elle m’informa du décès de l’un de ses parents. Elle m’a dit qu’elle se sentait très mal et que c’était difficile pour elle de se concentrer. La réprimander sans essayer de comprendre les raisons de son comportement aurait aggravé sa détresse. »
Le droit à la santé mentale de l’enfant sur internet
Sur internet, le constat est encore plus désolant. En effet, plusieurs enfants béninois ont un accès non encadré à internet. Ils sont exposés aux contenus inadéquats, mais également à des personnes mal intentionnées. C’est ce que nous renseigne Brian Sossou, fondatrice-Présidente de Filles en Actions, et son équipe. Pour eux, l’inexistence d’une politique spécifique de l’utilisation d’internet pour les enfants est un indicateur de la situation du droit à la santé mentale de l’enfant au Bénin.
Mais surtout, les cas de harcèlement et d’intimidation sont légion sur les réseaux sociaux. Il y a également des cas de sextorsion dont plusieurs enfants ont été victimes. Ces plateformes sont devenues le terrain de chasse de personnes naïves comme les enfants par des adultes, mais également par d’autres mineurs. Le bien-être et l’équilibre mental des enfants sont constamment menacés. Malheureusement, les enfants n’ont le courage d’en parler que lorsqu’ils sont à bout.
‘’Mon cousin de 12 ans m’a rapporté une fois qu’il recevait des nues de la part d’une de ses camarades plus âgées. Cette dernière lui réclamait même des sous afin de lui faire offrir des images plus intéressantes d’après elle’’ raconte une militante de Filles en Actions.
Aussi, il a été constaté que les filles sont plus exposées aux menaces qui pourraient atteindre leur santé mentale. Il s’agit entre autres du harcèlement et de la sextorsion. Cela n’exclut pas l’imminence de la menace chez les garçons également. De même, les enfants non avertis et livrés à eux-mêmes sont plus exposés. Face à cette réalité, il convient de rechercher la cause afin de lutter efficacement contre le mal.
Qu’est-ce qui justifie cet état des lieux du droit à la santé mentale de l’enfant ?
La santé mentale des adultes et encore plus celle des enfants est considérée comme un sujet tabou au Bénin. Le respect les droits de l’enfant en l’occurrence celui à la santé mentale est perçu comme une pratique occidentale. C’est ce qui justifie le lien établi entre le respect des droits de l’enfant et les déviances de certains enfants. Bien évidemment, cette conception est totalement fausse.
La violation du droit à la santé mentale de l’enfant est d’abord due à l’ignorance de ce droit. Pour plusieurs parents et éducateurs, les injures et menaces sont des moyens efficaces pour ramener l’enfant à l’ordre. Leurre ! L’estime de soi et la confiance en soi de l’enfant reste fragilisées puis que les propos employés sont très violents. Pire, l’impact de ces propos est banalisé.
La banalisation du mal-être psychologique de l’enfant est la conséquence directe de l’ignorance du droit à la santé mentale de ce dernier. Les réactions suite au suicide ou tentative de suicide par un enfant ou adolescent en témoignent longuement. Plusieurs événements impliquant la santé mentale de l’enfant au Bénin ont d’ailleurs secoué la toile. Mais à chaque fois, la cause de la douleur de l’enfant est banalisée et l’ampleur de sa souffrance sous-estimée.
Quelles sont les approches de solution ?
Les approches de solutions diffèrent selon le milieu où le droit de l’enfant à la santé mentale est violé. Dans tous les cas, un travail de sensibilisation doit être fait. Cette responsabilité est d’abord celle de l’État. Les parents et éducateurs doivent se rendre compte de l’impact de la violation de ce droit sur l’équilibre de l’enfant.
Dans le cadre familial
Dans le cadre familial, un travail de déconstruction du tabou autour de la santé mentale de l’enfant doit être fait. Faire disparaitre ce tabou implique que les parents doivent avoir la facilité de contacter un psychologue lorsque la santé mentale de l’enfant est mise à mal. Il implique également que les parents et ceux qui aspirent à l’être s’informent sur la psychologie de l’enfant. La parentalité se prépare !
Toujours dans le cadre familial, il est important de ne pas exposer les enfants à des scènes de violences conjugales. Le parent doit pouvoir se rendre compte de sa responsabilité dans le bien-être psychologique de l’enfant.
Dans le cadre scolaire
Dans le cadre scolaire, le gouvernement et les responsables de l’éducation nationale doivent penser à la mise en œuvre une pédagogie différenciée. L’enseignant aguerri malgré toute sa bonne volonté subit une pression énorme du fait des effectifs pléthoriques et du système. Revoir le système lui permettra de trouver le juste milieu entre formation de l’intellectuel et formation de l’Homme équilibré.
En outre, la présence effective des psychologues dans les établissements scolaires doit être une priorité des gouvernants. Les violences psychologiques sont parfois perpétrées par les apprenants eux-mêmes sur leurs camarades. Il faut à cet effet insérer des programmes d’enseignement des valeurs comme la tolérance, l’acceptation de l’autre et la notion de vivre ensemble.
Sur internet
Sur internet, il faut surtout une politique spécifique de l’utilisation d’internet par les enfants. Cette politique doit engager les acteurs du numérique. Les sensibilisations des enfants et des parents peuvent également contribuer à la protection de la santé mentale de l’enfant. Les parents peuvent être sensibilisés sur les logiciels de contrôle parental afin de protéger leurs enfants des contenus inadéquats et les enfants sur les plateformes éducatives.
Il faut par suite un renforcement de l’arsenal juridique en ce qui concerne les violences psychologiques dont les enfants peuvent être victimes sur internet. Ils doivent être punis avec la dernière rigueur. Pour cela, il faut mettre en place un moyen de dénonciation dans les cas de cyberharcèlement, intimidation et sextorsion accessible à tous et efficace.
Le bilan en ce qui concerne la réalisation du droit de l’enfant à la santé mentale est assez décevant. La population béninoise vit dans le déni du mal-être psychologique de plusieurs enfants. Le tabou autour de la question favorise cette situation et l’arsenal juridique par rapport à la question est frêle.
Et vous, que pensez-vous de l’état des lieux du droit à la santé mentale de l’enfant au Bénin?
Article très enrichissant. Merci à vous.
Merci beaucoup !
L’accent doit être particulièrement mis sur le cadre scolaire. Et à défaut d’avoir des psychologues dans les établissements, il serait à mon avis bien plus judicieux de revoir la formation des enseignants (en terme de pédagogie) et surtout instaurer de nombreuses activités scolaires extra-accadémiques. Car en fait les plus complexés sont la plupart du temps introvertis. Et au travers de ces activités, ils s’intègreront facilement, auront des confidents(très important), apprendront le vivre-ensemble. Car il ne faut pas oublier qu’un introverti ne se confiera jamais de façon sincère à un psychologue avec qui il n’a pas d’affinités particulières. Avec un ami c’est toujours mieux.
Hello cher ami,
Merci pour votre apport.
Vous avez soulevé un pan très important de la question. La formation des enseignants en terme de pédagogie est nécessaire.
Aussi, les activités extrascolaires en commun permettront aux apprenants à cultiver certaines valeurs comme la tolérance et le vivre ensemble.
Merci de votre fidélité !
Très intéressant et nous acteurs de développement devront vraiment travailler à une prise de conscience à tous les niveaux, afin que nos enfants jouissent réellement et amplement de leurs différents droits.
Merci pour tout ce que tu fais.
Je vous en prie !
C’est un plaisir. Merci de nous lire et d’apprécier le travail qui se fait.
Bravo,
Un super article qui décrit en profondeur cette problématique qui me semble hyper important.
Je rejoins la Psychologue Armelle A. lorsqu »elle dit ‘’Beaucoup de parents ne sont pas à l’écoute de leurs enfants et c’est bien dommage. Ils démissionnent de plus en plus et les enfants sont livrés à eux-mêmes, exposés à toute menace.’’
Je trouve que la maison/foyer est le premier lieu où on devrait faire respecter les droits des enfants.
En effet. Les parents démissionnent de plus en plus en raison des nombreux défis auxquels ils font face. Les enfants qui devraient être la priorité sont relégués au second rang.
Nous espérons un changement de mentalité afin que chaque enfant puisse grandir et s’épanouir sainement.
Merci de nous lire !
J’ai adoré l’article. Courage.
Merci !
J’ai beaucoup aimé le texte. J’ai hâte de vous recevoir sur une de nos émissions pour mieux en discuter. La santé mentale des adolescents et jeunes fait partie des sujets prioritaires auxquelles nous devons apporter des éclaircissements, un bon état des lieux, et des approches de solutions efficaces pour pallier progressivement et de manière croissante aux problèmes que ça pose au Bénin, à l’Afrique.
Merci de me lire !
C’est avec grand plaisir que j’accepterai votre invitation à discuter de ce sujet qui me préoccupe tant.